Dire ou ne pas dire ?
Lorsque nous parlons, devons-nous toujours parler pour dire quelque chose? Autrement, devons-nous toujours tout dire à ceux qui nous questionnent?
Certes, au quotidien, nous parlons pour informer, faire part de nos demandes et sentiments, mais il est aussi possible de parler pour simplement bavarder, rigoler ou encore jouer avec les mots. Même si le proverbe déclare que « le silence est d’or et la parole est d’argent », certains parlent aussi pour ne rien dire. D’aucuns déclareront avec sagesse que : parler, c’est penser tout haut et penser, c’est parler tout bas.
Cependant, que signifie dire quelque chose lorsque nous parlons? Je vous rapporte les propos de Ricoeur au sujet de la définition d’un discours qui pourrait nous aider à répondre à la question à savoir : qu’est-ce que dire? Ricoeur propose la définition suivante : un discours c’est lorsque quelqu’un dit quelque chose à propos de quelque chose à quelqu’un d’autre. Quels sont les critères qui viennent supporter ledit discours? Devrions-nous être animés d’un esprit de véracité, de cohérence ou de sérieux à l’égard des propos que nous tenons, lorsque nous désirons faire sens en parlant? Voilà une autre question intéressante à se poser en lien avec le thème du dire.
Deux philosophes majeurs du début et de la fin du XXe siècle ont exprimé leur point de vue en deux aphorismes énigmatiques au sujet du dire et de la parole. Il s’agit respectivement de Ludwig Wittgenstein et de Jacques Derrida.
La fameuse injonction connue de Wittgenstein est la suivante : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire ». Il s’agit d’une forme d’impératif à la fois éthique et épistémologique. Wittgenstein nous ordonne, en quelque sorte, au sujet des énoncés que nous formulons, à nous en tenir à ceux qui font du sens. Qu’est-ce que cela veut dire? Ce dernier soutient que seuls les énoncés qui sont logiquement valables et qui portent sur des propositions vraies au niveau des faits font sens. Pour Wittgenstein, sont exclues les propositions éthiques, esthétiques ou religieuses (même si elles sont le fruit d’attitudes propres à l’esprit humain), car vides de sens, ne portant pas sur la logique ou la réalité naturelle. Au final, pour Wittgenstein, parler, c’est parler de ce qui fait sens, ce qui est de l’ordre des propositions logiques et factuelles.
Derrida semble répondre à Wittgenstein par ce second aphorisme aussi percutant : « Ce qu’on ne peut pas dire, il ne faut surtout pas le taire, mais l’écrire. » Ici, Derrida ne se concentre pas sur la parole et le dire, mais sur ce qu’on ne peut pas dire et l’écrire. Il fait possiblement référence à l’incapacité de dire certaines choses en parole, soit par retenue ou encore par incapacité, voire aussi parce que cela n’est pas approprié dans le contexte. Il y a certes des choses qu’on peut dire, mais celles qu’on ne peut pas dire, il ne faut surtout pas les taire, mais au moins il faut les écrire. La porte de sortie de ce qu’on ne peut dire en parole est peut-être l’ouverture de l’être que procure l’écriture…
JUIN 2019